
Evénement
Retour sur la journée hybride grand public gratuite du 20/11/2025 : "les mineurs au cœur de l’audition publique 2025 sur les violences sexuelles"
Publié le
Le 20 novembre 2025, le CRIAVS-LR a organisé, dans l'amphithéâtre Lapeyronie au CHU de Montpellier et en Teams, la journée hybride grand public gratuite "les mineurs au cœur de l'audition publique 2025 sur les violences sexuelles", afin de restituer ces travaux avec plusieurs experts, pour :
mieux comprendre qui sont les mineurs auteurs de violences sexuelles,
explorer l’impact des dynamiques familiales et sociétales sur ces violences,
évaluer et accompagner ces mineurs à partir de repères cliniques, judiciaires et éducatifs,
mieux prévenir ces violences au niveau sociétal.
Interventions et apports des experts
Profil des mineurs auteurs de violences sexuelles : intervention de Samuel LEMITRE
L’intervention de Samuel LEMITRE, Docteur en psychologie, psychologue clinicien au Centre EIDO à Montpellier, intitulée « Qui sont les mineurs auteurs de violences sexuelles ? Y-a-t-il des profils ? », a insisté sur l’hétérogénéité des profils de mineurs auteurs d'infractions à caractère sexuel, alors qu'ils représentent au moins 30 % des auteurs d’agressions sexuelles sur mineurs.
Il s'agit majoritairement de garçons (90%) qui commettent leurs actes autour de la puberté, avec 40% des mis en cause âgés de 13 à 15 ans, mais ce phénomène émerge dès l'enfance, 27% ayant moins de 13 ans. La majorité de ces mineurs auteurs ont eux-mêmes été victimes de violences (souvent sexuelles) dans le passé.
L'analyse clinique permet de distinguer deux profils :
un profil « délinquantiel » (diversité des délits, recours à la force)
et un profil « non délinquentiel » (spécificité sexuelle de la violence, anxiété, frustration).
Un facteur aggravant est l'exposition précoce à la pornographie, souvent avant 10 ans, qui favorise une dérégulation émotionnelle et l’émergence de symptômes psychotraumatiques ainsi qu’à la reproduction de comportements observés et à.
Dynamiques familiales et histoire transgénérationnelle : intervention de Pierre BENGHOZI
Pierre BENGHOZI, Pédopsychiatre, psychanalyste, thérapeute familial et de groupe, ancien médecin chef du service de psychiatrie de l’enfant, de l’adolescent et de la famille, CH Pierrefeu de Hyères, a traité la question de « l’impact de la dynamique et de l’histoire familiale (violences intra-familiales, climat incestuel, problématiques transgénérationnelles…) dans la survenue des violences sexuelles commises par les mineurs ». Il a analysé la survenue de comportements violents chez les mineurs comme un symptôme d'une effraction ou d'une faille dans ce qu’il appelle la « métagarance » familiale. La métagarance est définie comme la responsabilité éthique garantissant une contenance sécure. Les parcours des mineurs auteurs sont souvent marqués par la transmission transgénérationnelle de la honte inconsciente et de secrets (les "empreintes-fantômes"). Dans les familles incestueuses ou incestuelles, il y a une confusion des frontières de l'intime et des rôles, où l'enfant peut être exposé à un excès d'excitation sexuelle non élaborable mentalement. Ces mineurs peuvent présenter une « sexualité prématurée » (appelés "pseudo-lolitos" ou "pseudo-lolitas"), où l'agression entrave le processus de maturation psychosomatique.
Évaluation clinique du fonctionnement psychique : intervention de Pascal ROMAN
L'intervention de Pascal ROMAN, Professeur de psychologie clinique et de psychopathologie, Université Lumière - Lyon 2, Professeur honoraire de l’Université de Lausanne, a porté sur « L’évaluation clinique du fonctionnement psychique des adolescents auteurs de violences sexuelles », insistant sur la nécessité d'une approche dynamique et psychodynamique. L'évaluation doit être vue comme une tentative de soutenir la subjectivité de l'adolescent. Ces adolescents présentent souvent une forte inhibition et une abrasion des affects, ce qui rend l'évaluation essentielle pour comprendre les stratégies défensives mises en place face aux vécus traumatiques précoces. L'évaluation repose sur six axes principaux, incluant la capacité à s’inscrire dans une réalité partagée, la compréhension du consentement et des règles sociales, la qualité de la construction identitaire (incluant les traces traumatiques), les modalités d’attachement et de relation à l'altérité, les représentations des liens de générations, et les potentialités réflexives. Les outils d’évaluation mobilisés comprennent un questionnaire clinique (QICAAICS), des épreuves d’efficience intellectuelle (WISC-V, WAIS-R ), le génogramme libre et des épreuves projectives verbales (Rorschach et TAT).
Missions d’expertise et questions spécifiques : intervention de Louis FORGEARD
Louis FORGEARD, Pédopsychiatre au CH le Vinatier de Bron, s'est concentré sur « Quelles questions sont posées aux experts et quelles questions sont pertinentes à poser chez les mineurs auteurs de violences sexuelles ? ». Il a noté que les missions d'expertise psychiatrique pénale actuelles ne présentent aucune spécificité pour les mineurs auteurs d'infractions à caractère sexuel. Pour améliorer cette situation, il propose l'ajout de deux questions essentielles aux missions d'expertise :
« Quels sont les repères dont dispose le mineur en termes de sexualité ? », afin de légitimer l'exploration de la vie sexuelle, des fantasmes et du rapport à la pornographie
« Discuter du discernement en fonction de la maturation au moment des faits, soit en prenant en compte les dispositions de l’art L11-1 du Code de la Justice Pénale des Mineurs », pour forcer la discussion du discernement maturatif, notion introduite par le Code de la Justice Pénale des Mineurs.
Il insiste également sur la nécessité pour les experts d'établir des guidelines pour le pronostic, car le risque de réitération est souvent surestimé et de distinguer trois groupes : le préadolescent alexithymique (faible risque de réitération), le groupe avec aménagements défensifs (risque intermédiaire) et le groupe avec trouble de la préférence sexuelle en formation (risque de récidive le plus élevé).
Accompagnements éducatifs et justice restaurative : intervention de Marie ROMERO
Marie ROMERO, Docteure en sociologie, à la Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse de Paris, a présenté les « modes d’accompagnement éducatif (individuel, collectif…) dans les mesures judiciaires et extra-judiciaires (justice restaurative…) préconisés pour les mineurs auteurs de violences sexuelles ». Elle a souligné que la majorité des mineurs auteurs, souvent inconnus de la justice, commencent leur suivi pénal par une mesure en milieu ouvert. Cependant, le délai entre la révélation des faits (souvent tardive) et la première décision judiciaire est long (en moyenne 1 an et demi).
Face aux limites de l'accompagnement individuel, des dispositifs spécifiques sont recommandés :
le groupe thérapeutique ou de psychoéducation (pour lutter contre l'isolement et travailler la responsabilisation),
le dispositif d'Aide Éducative en Milieu Ouvert (AEMO) spécialisée pour les violences sexuelles sur mineurs (concerne souvent pour l'inceste intrafamilial),
et la Justice Restaurative (JR). La JR est considérée comme un outil précieux, intervenant souvent en phase pré-sentencielle, qui permet un espace de dialogue et un travail sur la responsabilisation du mineur.
Place des familles et thérapie de réseau : intervention de Martine NISSE
L'intervention de Martine NISSE, Educatrice spécialisée, thérapeute familiale au centre des Buttes-Chaumont de Paris « Quelle place pour l’environnement familial dans la prise en charge et quelles spécificités en fonction des violences ? », a mis en avant la thérapie familiale de réseau ou « systémanalytique » pour le traitement de l’inceste, perçu comme un symptôme familial. La prise en charge requiert la participation de tout l'environnement du mineur, y compris les intervenants institutionnels (ASE, PJJ), formant un « carrefour des systèmes ». Elle insiste sur l'importance de dépister le processus « d’incestigation » parentale (favorisant inconsciemment les passages à l'acte) et de confronter le déni familial. L'objectif est de dénouer l'homéostasie incestueuse pour permettre le changement familial et individuel, notamment la reprise d’un développement cognitif souvent bloqué lorsque le symptôme sexuel cède. Elle regrette que le concept « d’identification à l’agresseur » ne soit pas systématiquement enseigné aux professionnels, car il est essentiel pour décrypter les comportements sexuels problématiques précoces des mineurs.
Prévention sociétale et lutte contre les inégalités : intervention de Corentin LEGRAS
Corentin Legras, Anthropologue au centre Robert Elias de Marseille, a abordé « Comment structurer les actions au niveau sociétal pour prévenir les violences sexuelles ? » en proposant une approche par la domination. Il a affirmé que les violences sexuelles sont rendues possibles par les inégalités structurelles (genre, âge, statut) qui organisent la société. La famille est le premier lieu d’apprentissage de la domination, où les enfants font l’expérience de l’obéissance et des hiérarchies entre aînés et cadets, souvent basées sur le genre. Pour prévenir efficacement, il est nécessaire de lutter contre la « culture du viol » et de promouvoir une « contre-culture du viol » en agissant sur les représentations sociétales, notamment celles liées à la masculinité. Il préconise un déploiement de l’Éducation à la Vie Affective, Relationnelle et Sexuelle (EVARS) qui soit un socle commun de transmission, systématique, quotidien, et dispensé par des experts, plutôt que les trois séances annuelles actuelles. Il suggère également de systématiser les programmes d'auto-défense pour les enfants et de former obligatoirement tous les adultes travaillant avec des mineurs.
Recommandations finales de la commission : intervention du Dr Manuel ORSAT
Le Dr Manuel ORSAT, Psychiatre, Expert près la Cour d’Appel d’Angers, Secrétaire Général de la Compagnie Nationale des Experts Psychiatres près les Cours d’Appel, a quant à lui présenté le « Retour sur les recommandations écrites par la commission d’audition ». Ces propositions visent à mieux connaître, évaluer et accompagner les mineurs auteurs de violences sexuelles.
Parmi les 45 propositions, on retrouve l'amélioration du recueil de données judiciaires et sanitaires (y compris dans les DROM-COM), la révision des missions d'expertise pénale pour y inclure la sexualité et le discernement maturatif (Art L11-1 du CJPM), le renforcement des dispositifs d'accompagnement comme l'AEMO spécialisée et la Justice Restaurative, ainsi que l'élaboration d'un guide sur l'accompagnement des mineurs auteurs de violences sexuelles.
En matière de prévention, les recommandations insistent sur le déploiement intersectoriel des Compétences Psychosociales (CPS) et de l'EVARS, l'information des parents dès la grossesse, et la nécessité d'un contrôle strict de l'accès des mineurs à la pornographie en ligne. L'approche globale doit briser le cycle de la violence en s'attaquant aux fondements culturels et aux inégalités de genre et d'âge.
